Poule ou coq ?
La plupart des prétendues
traductions de ce que nous avons ressenti ne font ainsi que nous en débarrasser
en le faisant sortir de nous sous une forme indistincte qui ne nous apprend pas
à le connaître. Quand j’essaie de faire le compte de ce que je dois au côté de
Méséglise, des humbles découvertes dont il fut le cadre fortuit ou le
nécessaire inspirateur, je me rappelle que c’est, cet automne-là, dans une de
ces promenades, près du talus broussailleux qui protège Montjouvain, que je fus
frappé pour la première fois de ce désaccord entre nos impressions et leur
expression habituelle. Après une heure de pluie et de vent contre lesquels
j’avais lutté avec allégresse, comme j’arrivais au bord de la mare de
Montjouvain, devant une petite cahute recouverte en tuiles où le jardinier de
M. Vinteuil serrait ses instruments de jardinage, le soleil venait de
reparaître, et ses dorures lavées par l’averse reluisaient à neuf dans le ciel,
sur les arbres, sur le mur de la cahute, sur son toit de tuile encore mouillé,
à la crête duquel se promenait une poule. Le vent qui soufflait tirait
horizontalement les herbes folles qui avaient poussé dans la paroi du mur, et
les plumes de duvet de la poule, qui, les unes et les autres se laissaient
filer au gré de son souffle jusqu’à l’extrémité de leur longueur, avec
l’abandon de choses inertes et légères. Le toit de tuile faisait dans la mare,
que le soleil rendait de nouveau réfléchissante, une marbrure rose, à laquelle
je n’avais encore jamais fait attention. Et voyant sur l’eau et à la face du
mur un pâle sourire répondre au sourire du ciel, je m’écriai dans mon
enthousiasme en brandissant mon parapluie refermé : « Zut, zut, zut,
zut. » Mais en même temps je sentis que mon devoir eût été de ne pas m’en
tenir à ces mots opaques et de tâcher de voir plus clair dans mon ravissement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire